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Biométhane ou électrique, les alternatives au GNR à l’épreuve du terrain

Sur l’exploitation de Pierre Besançon, l’arrivée du tracteur au biométhane correspond à une volonté de baisser l’impact carbone des pratiques.

Pas simple de remplacer le GNR dans les exploitations agricoles. Des solutions sont toutefois disponibles. Rencontre avec un éleveur laitier équipé d’un tracteur au biométhane et reportage à la ferme expérimentale de Derval qui teste un modèle électrique.

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La décarbonation de l’agriculture et les énergies renouvelables sont des thèmes qui motivent Pierre et Audrey Besançon, éleveurs à Saint-Berthevin, en Mayenne. Ils ont construit une unité de méthanisation en 2012. Leur exploitation est également équipée de panneaux solaires en toiture et de deux trackers. Depuis l’été 2024, ils utilisent un tracteur New Holland T6.180 fonctionnant au biométhane, un modèle équipé d’un moteur à six cylindres d’une puissance de 160 ch (175 ch en surpuissance). « Notre concessionnaire, le groupe Douillet, souhaitait mettre en place un premier modèle au gaz sur le secteur, afin d’acquérir des références sur cette technologie, commente l’agriculteur. Le vendeur nous a d’abord proposé un essai de deux jours. Ce test a montré que les performances étaient équivalentes à celles d’un tracteur classique. Comme l’exploitation est engagée dans une démarche CAP’2ER pour la réduction des émissions de carbone, nous avons décidé de passer commande. »

Ravitaillement à la station

L’exploitation possède une unité de méthanisation qui fonctionne en cogénération, avec une production d’électricité (210 kWh) et un réseau de chaleur pour alimenter des bâtiments de volaille, la laiterie et la maison des exploitants. Pour le ravitaillement du tracteur, les éleveurs se rendent dans une station du réseau Endesa, distribuant du biogaz, située à moins de cinq minutes de la ferme.

Premier modèle du marché fonctionnant au gaz, ce T6.180 de New Holland affiche les mêmes performances qu’un tracteur standard. Seul bémol, l’autonomie limitée oblige les exploitants à adapter leur organisation de chantier. (© Denis Lehé)

« Disposer d’une source d’approvisionnement toute proche de chez nous était indispensable pour la viabilité du projet, souligne Pierre Besançon. Être autonome sur la ferme nécessitait une installation supplémentaire sur notre méthanisation, avec un système de purification et de compression du gaz. Un tel investissement, destiné uniquement à ce tracteur, n’aurait pas été rentable. Chez des méthaniseurs équipés pour injecter le gaz dans le réseau, la mise en place d’une station de recharge est en revanche tout à fait envisageable. »

De 400 à 500 heures/an

Le New Holland T6 a été livré par le concessionnaire en août 2024. À la place du réservoir de GNR, le constructeur a placé des bouteilles de gaz d’une capacité totale de 190 l, soit 32 kg de gaz comprimé à 200 bars. Avec cette quantité, le tracteur peut travailler deux ou trois heures seulement, c’est pourquoi la majorité des modèles actuellement en service sont équipés d’une réserve additionnelle de 270 l, boulonnée à l’avant du tracteur : non démontable, elle offre une capacité supplémentaire de 47 kg. Malgré cette seconde cuve, le tracteur ne dispose pas d’une capacité de stockage suffisante pour tenir toute une journée. Les exploitants le savaient dès le départ et ils ont dû s’adapter en conséquence. Au quotidien, le T6.180 est utilisé pour le paillage des animaux et la désinfection des bâtiments de volailles. Depuis sa mise en service, il a aussi servi en déchaumage, en pulvérisation et très régulièrement pour du transport : ensilage, chariot à paille…

« Nous estimons qu’il fera au moins 400 à 500 heures par an, souligne Pierre Besançon. Dans les champs ou sur la route, il se comporte réellement comme n’importe quel autre modèle roulant au GNR. Lors de travaux du sol assez intenses où le moteur tourne à plein régime, l’autonomie est d’environ cinq à six heures. En transport, c’est un peu mieux car le tracteur ne tourne pas toujours au maximum de sa puissance. Un plein complet des deux réservoirs suffit généralement pour rouler entre huit et neuf heures. Le chauffeur doit donc surveiller attentivement la quantité de gaz qui lui reste car, en cas de panne sèche, c’est remorquage obligatoire pour rentrer ! Heureusement, nous avons un parcellaire assez groupé autour de la ferme. La station n’est donc jamais bien loin et lors des grosses journées de travail, le plein est refait systématiquement à midi. Cette limite doit être prise en compte dans l’organisation du travail. »

Coûts de carburants équivalents

La présence du réservoir additionnel fixé à l’avant interdit l’utilisation d’un relevage, d’un chargeur frontal ou de masses, réduisant donc le nombre d’activités possibles. Actuellement, l’exploitation bénéficie d’un contrat d’approvisionnement du gaz à la station avec un tarif spécifique lié au volume acheté annuellement. « Ce tracteur consomme environ 12 kg de gaz/h alors qu’un modèle diesel équivalent a besoin de 15 à 16 l de GNR/h, estime l’éleveur. Le tarif actuel du biométhane est de 1,40 €/kg, celui du GNR est inférieur, de l’ordre de 1,10 €/l. Finalement, les coûts de carburant sont équivalents. Mais, si le gaz était produit à la ferme, la balance pencherait en faveur du biométhane. Ce qui nous importe aujourd’hui, c’est d’étudier la possibilité d’adapter la technologie aux besoins de nos exploitations agricoles en faisant évoluer nos pratiques. Sur la question du carbone, le biométhane est une piste prometteuse. »

Un tracteur silencieux

À une heure trente de là, rendez-vous au petit matin à la ferme expérimentale de Derval en Loire-Atlantique. Cette exploitation laitière, gérée par la chambre d’agriculture des Pays de la Loire utilise depuis le mois de septembre 2024 un tracteur fonctionnant à 100 % à l’électricité. Il s’agit d’un test mené sur plusieurs mois en partenariat avec EDF, afin d’évaluer l’intérêt d’un tracteur électrique en agriculture. Le modèle à l’essai est un John Deere 6330 mis en service en 2009 avec un moteur diesel standard, et reconditionné l’an passé dans les ateliers de l’entreprise vendéenne Vensys Group. Cette dernière, qui détient aussi la marque Hydrokit, a en effet développé une activité spécialisée sur les énergies alternatives, notamment les batteries et l’hydrogène.

À la ferme expérimentale de Derval, Bruno Couilleau teste depuis septembre 2024 un tracteur John Deere 6330 de 2009, reconditionné et fonctionnant désormais à l’électricité via une batterie au lithium. (© Denis Lehé)

C’est désormais une batterie au lithium de 48 kWh qui se cache sous le capot du John Deere. Il suffit de s’approcher du tracteur en fonctionnement pour remarquer l’absence de bruit : seuls les cliquetis des tapis de la distributrice se font entendre. « Ce tracteur électrique est silencieux et très agréable à conduire, souligne Bruno Couilleau, chargé de mission expérimentation à la ferme de Derval. Le moteur thermique a disparu au profit d’une batterie, mais le reste n’a pas changé : transmission, distributeurs ou prise de force, toutes les commandes sont identiques. Tous les chauffeurs peuvent donc s’en servir facilement. »

Autonomie limitée

Avec ce prototype, Vensys Group souhaite démontrer qu’il est possible, économiquement et techniquement, de convertir à l’électrique d’anciens tracteurs diesel ou d’autres engins comme des minipelles. Le modèle 6330 de John Deere a été choisi car il dispose d’un châssis permettant d’adapter la batterie et le moteur, sans prévoir de renforts spécifiques. La nouvelle motorisation offre une puissance théorique de l’ordre de 70 ch avec une possibilité de surpuissance limitée à quelques minutes. L’avantage de cette technologie, c’est que le moteur électrique développe son couple au maximum même à très faible régime. Contrairement à un modèle thermique, il n’est pas nécessaire d’accélérer pour obtenir la meilleure plage de couple.

Au quotidien, le tracteur électrique sert pour distribuer la ration non mélangée en trois passages successifs. L’autonomie de la batterie est de quatre heures pour un usage non intensif, mais une heure seulement à plein régime. (© Denis Lehé)

« Ce tracteur est très bien adapté pour tirer notre remorque distributrice, et la prise de force entraîne facilement les tapis, ajoute Bruno Couilleau. Nous distribuons une ration non mélangée en trois passages successifs. La production de lait est au rendez-vous et cela nous coûte moins cher qu’un bol mélangeur. Le tracteur est mobilisé environ quarante minutes par jour et il faut recharger la batterie tous les quatre jours. L’autonomie est donc limitée. Je m’en suis aussi servi pour du broyage d’accotement et du travail du sol avec un cultivateur de 3 m de largeur. En fonctionnant à plein régime, la batterie se vide en une heure. » Pour la recharge, les salariés de l’exploitation utilisent un chargeur de 11 kWh, branché sur une prise 380 V. La ferme expérimentale envisage d’installer des panneaux photovoltaïques pour produire de l’électricité en autoconsommation et valoriser le pic de production en début d’après-midi en rechargeant le tracteur.

Ce bloc destiné au rétrofit d’engin diesel est constitué d’une batterie, d’un moteur électrique et de tous les accessoires annexes. Il a été développé par le groupe Vensys. (© Denis Lehé)

L’expérimentation doit se prolonger au moins jusqu’en fin d’année 2025. Outre le confort à l’usage, les utilisateurs apprécient l’absence d’entretien du moteur électrique. Concernant l’autonomie, Vensys Group explique que plusieurs solutions sont envisagées : améliorer la capacité des batteries existantes, utiliser un pack complémentaire placé sur le relevage avant ou employer une pile à hydrogène. Cette dernière solution offrirait plus d’autonomie, à condition d’adapter la technologie au contexte agricole et au fait qu’à terme, de l’hydrogène vert et bon marché soit disponible partout à la campagne. Le remplacement du GNR demandera donc encore du temps mais les alternatives progressent.

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